Il arrive parfois qu'un simple témoignage dévoile, comme un coup de tonnerre, les failles profondes d'un système tout entier.
Mardi dernier, devant la Federal Trade Commission (FTC), Kevin Systrom, cofondateur d'Instagram, a révélé ce que beaucoup soupçonnaient sans pouvoir le prouver : Mark Zuckerberg, PDG de Meta (anciennement Facebook), a vu Instagram non comme une opportunité de synergie ou d'innovation, mais comme un « menace potentielle » contre l'hégémonie de Facebook.
Selon Systrom, son application était en passe d'atteindre son indépendance, prête à déployer des fonctionnalités majeures comme la messagerie privée et les services vidéo, sans le soutien logistique ou financier de Meta. « Nous avions la capacité de continuer seuls », a-t-il affirmé devant la Commission.
Ces déclarations ne doivent pas être minimisées. Elles exposent avec brutalité une réalité : les plus grands réseaux sociaux n'ont pas pour ambition de favoriser la diversité numérique ou de protéger l'expérience utilisateur, mais bien de neutraliser toute concurrence pour consolider leur mainmise sur notre attention, notre comportement et, au fond, notre manière d'être au monde.
Aujourd'hui, les réseaux sociaux ne sont plus de simples lieux d’échange ou de créativité. Ils sont devenus des instruments redoutables d’aliénation mentale, psychologique et émotionnelle. Une multitude d'études scientifiques l'atteste : l'usage intensif de ces plateformes est lié à l'explosion des troubles anxieux, dépressifs et des sentiments d'isolement social, notamment chez les plus jeunes (The Lancet Child & Adolescent Health, 2019).
Comment en est-on arrivé là ? La réponse est aussi simple qu'inquiétante : le modèle économique dominant est basé sur l’exploitation maximale du temps d’écran, sans aucune considération pour la santé mentale des utilisateurs. Plus vous passez de temps en ligne, plus la plateforme engrange de revenus publicitaires. Tout est donc pensé pour générer du clivage, du choc émotionnel, de la polarisation extrême — car ce sont ces ressorts psychologiques qui garantissent l'engagement maximal.
Face à cette réalité, continuer comme avant n’est plus tenable. Nous avons besoin d’une rupture. D'une alternative.
Cette alternative ne doit pas se contenter d'être « un nouveau réseau social ». Elle doit être une révolution culturelle. Un retour aux valeurs humaines fondamentales : respect du temps de chacun, protection de la santé mentale, mise en avant de la créativité authentique plutôt que de la rage artificiellement fabriquée.
Des initiatives comme Mastodon, BlueSky ou d'autres plateformes décentralisées tentent d'ouvrir la voie. Mais leur portée reste encore marginale, car elles n'ont pas encore réussi à proposer un véritable modèle de croissance qui conjugue viabilité économique et éthique.
Il faut aller plus loin.
Il faut créer des environnements numériques où :
- L’addiction n’est pas un business model, mais un problème à éradiquer ;
- La diversité intellectuelle est encouragée, pas laminée par des algorithmes qui enferment dans des bulles ;
- Le dialogue est valorisé, et non le clash ou l’humiliation publique ;
- Le droit à l’oubli, au retrait et à la pause numérique est respecté comme un droit fondamental.
Créer cette alternative n’est pas seulement un choix moral : c’est une nécessité vitale pour nos sociétés. Si nous voulons préserver la santé mentale collective, éviter l'effritement du débat démocratique et protéger nos capacités critiques, nous devons agir maintenant.
La révélation de Kevin Systrom n’est pas une simple anecdote judiciaire : c’est une sonnette d’alarme. Elle confirme ce que beaucoup ressentaient instinctivement : l'ère des réseaux sociaux tels que nous les connaissons touche à sa fin. Le monde numérique d’après doit être bâti sur de nouvelles fondations — ou bien il ne sera qu'un champ de ruines émotionnelles et intellectuelles.
C'est à nous, créateurs, entrepreneurs, citoyens, de relever ce défi. L'alternative est non seulement possible, elle est indispensable.

Ajouter un commentaire
Commentaires